PLANS D’AMÉNAGEMENT SPÉCIAUX

Valéry Sicard, ing.f., agente de développement AFAT

L’avantage de préparer un article à la dernière minute, c’est de pouvoir suivre les sujets d’actualité. Avec la sécheresse et l’épidémie d’incendies en forêt en cette fin de printemps, voyons ce qui est prévu dans ces situations sur les terres du domaine public.

Dans un premier temps, lors de risques très élevés et extrêmes d’incendies forestiers, en période de sécheresse, les opérations de récolte forestières et sylvicoles sont soit restreintes, soit interrompues. En plus de créer de l’instabilité sur le plan de l’emploi, les impacts du retard se feront sentir tout au long de la saison.

Sur les terres publiques, la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier prévoit des mesures exceptionnelles pour assurer la récupération des bois incendiés. L’intention est de limiter le plus possible les pertes de volumes de bois et l’impact sur la possibilité forestière à long terme.  Il faut faire vite, surtout si les feux ont lieu tôt en saison, alors que certains insectes, comme les longicornes, sont en pleine période de reproduction. Ces derniers apprécient particulièrement le bois mort, et leurs descendants produisent une multitude de trous dans le bois, ce qui affecte ses propriétés comme matériau de construction. Outre les insectes, les tiges mortes seront plus fragiles aux bris et renversements au cours de l’hiver. Et le printemps suivant, ils subiront une nouvelle invasion d’insectes. Donc, le temps presse, au cours des douze prochains mois, pour réorganiser les récoltes.

Le plan d’aménagement spécial qui est proposé remplace les travaux actuellement en vigueur. Ainsi, les travaux qui étaient en cours sont interrompus et les récoltes se mobilisent vers les sites perturbés. Une entreprise qui refuse de s’y conformer doit renoncer aux volumes indiqués à sa garantie d’approvisionnement. Lorsque les superficies affectées sont importantes, les entreprises œuvrant sur les territoires adjacents peuvent être interpellées.

Alors que les plans d’aménagement forestier sont normalement préparés trois ans à l’avance et que cette planification se réalise en continu, il est nécessaire, là aussi, de laisser tout en plan et de s’engager dans une planification sur de nouvelles bases. Dans un premier temps, dès la détection de l’incendie, il est possible de valider le type de forêt qui s’y tenait, l’âge, la densité, la dimension des tiges, la productivité des sites, d’après les cartes forestières et l’imagerie lidar. On peut aussi évaluer s’il y avait des aires protégées, exclues du territoire aménagé et dont la végétation sera laissée telle quelle, en régénération naturelle.

Une fois le feu éteint, c’est la Direction de la protection des forêts (DPF) du MRNF qui classifie, lors de survols aériens, l’intensité du brûlis. Ce survol permet de tracer les contours détaillés du brûlis, qui prend une forme aussi variée qu’il y a eu de changements de végétation, d’obstacles, d’orientation des vents. À ce que je sache, l’imagerie satellite permettrait une vue d’ensemble et détaillée, mais il ne faut pas oublier que d’autres feux produisent de la fumée dans l’atmosphère et risquent de rendre inutilisable toute cette belle technologie à court terme. Et puis, on se souhaite plein de pluie et de nuages (ce qui rend aussi impossible la prise de vue). Il sera peut-être possible d’employer des drones à basse altitude.

La forêt est jeune aux alentour de Quévillon, contours approximatifs du feu 344 de 2023 du site de la Sopfeu.  Plusieurs interventions sylvicoles ont eu lieu au cours des 20 dernières années. Les milieux humides sont en turquoise sur l’image satellite.

Dans le contexte actuel des nombreux feux récurrents tout au long de la saison estivale, ce relevé aérien sera difficile et pourrait prendre du temps à produire des résultats. Aussi, tant que la sécheresse persistera, les travaux en forêt ne pourront reprendre.

La caractérisation de la superficie en classe de brûlis sert à évaluer le niveau de dégradation du bois, et ainsi à estimer les volumes de bois récoltables, les lieux (usines) où ces volumes pourront être destinés et utilisés, ainsi que l’aide financière qui pourrait être accordée. Cette aide considère aussi la nécessité de construire des infrastructures d’accès, soit les chemins et les traverses de cours d’eau.

Localisation des feux, site de la Sopfeu, 12 juin 2023 superposé à la carte des limites des unités de gestion du MRNF de Forêt Ouverte.

Les volumes de bois sont présentés aux industriels œuvrant sur le territoire (usines bénéficiant d’une garantie d’approvisionnement sur terres publiques). Il n’y a pas d’indemnités proposées pour la période d’interdiction de travaux en forêt ni en contrepartie pour les bois sains qui ne seront pas récoltés. Les indemnités sont prévues seulement pour la récolte des bois affectés. Les industriels (BGA) peuvent se désister de ces volumes, qui pourront être vendus aux enchères (Bureau de mise en marché des bois) ou à d’autres usines de transformation des bois.  Il n’est pas évident de trouver preneur pour des bois de piètre qualité, pour lesquels l’accès est difficile, nécessitant des infrastructures pour  loger le personnel, dans des conditions de cendre et de suie.

Néanmoins, le plan d’aménagement spécial permet de déroger aux lois et règlements en vigueur, et même de dépasser la possibilité annuelle de coupe, pour faciliter la remise en production des sites et optimiser la récupération des volumes. Ceci doit être justifié dans le plan. Si certains brûlis permettent de réduire en cendres la litière de mousse épaisse et d’engraisser le sol minéral sur lequel les graines peuvent germer, dans d’autres cas, le feu peut brûler de manière intensive et détruire la banque de semences dans le sol. Entre ces deux situations, le feu peut passer rapidement, seulement noircir la mousse et détruire de jeunes arbres trop petits pour en faire du bois d’œuvre. C’est la situation la plus triste, alors que de bonnes années de croissance sont réduites à néant, que ces tiges trop jeunes n’ont pas produit de banque de semences, que les chicots sur pied entraveront les travaux de scarifiage et de plantation. Avec la récurrence des feux, cette triste situation se produit plus fréquemment.

Ainsi, la récolte des tiges affectées devient aussi un outil de remise en production des sites, bien que le plan ne traite que de la récolte, et non les travaux de remise en production. Depuis 2013, c’est le MRNF qui réalise cette planification, selon les budgets accordés en fonction des travaux estimés dans les stratégies d’aménagement forestier. Alors que les plans réguliers sont remplacés, tous les aménagements sont à repenser, jusqu’à la production de plants. Considérant qu’il faut au moins trois ans pour récolter des semences, les conditionner en caissette, en plus de la préparation de terrain et le reboisement, on devra sortir des schémas habituels de travaux.

Du point de vue du cycle du carbone, le bois qui n’est pas récupéré va se décomposer sur le site et continuer à larguer du carbone dans l’atmosphère. Déjà, le feu en lui-même a largué des quantités phénoménales de carbone, parfois encore plus que la consommation humaine de combustibles fossiles.

Possibilité forestière
La récupération d’un maximum de volume affecté permet de limiter l’impact sur la possibilité forestière. La récolte est mobilisée dans ces secteurs et les autres peuplements sont laissés intacts. Le Forestier en chef considère la récurrence des feux dans les calculs de possibilité forestière.  Ce sera le moment de vérifier si la réalité dépasse les estimations.  Combien de volumes sont récupérables et combien enregistre-t-on de perte de forêt en régénération? À la suite des calculs, c’est le MRNF qui détermine les attributions de bois par unité d’aménagement.

Dans le contexte déjà chaud de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, de territoires protégés pour le caribou, d’aires protégées souhaitées qui n’ont pas été accordées, de valeur des bois changeante sur les marchés, de grands enjeux seront sans doute discutés dans les prochains mois.

Avec les changements climatiques, les événements extrêmes risquent de se reproduire plus fréquemment. Comment nos forêts supporteront elles ce rythme? Lors du Carrefour Forêts, tenu à Québec en avril 2023, les forestiers ont pu prendre connaissance des hypothèses en ce sens.  Nous avons pu y rencontrer des chercheurs ayant vécu ce genre de catastrophe dans l’ouest du pays, et ces derniers ont une longueur d’avance dans leurs questionnements et raisonnements. On réalise maintenant que ça n’arrive pas qu’aux autres.